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Mardi matin à Rouen, j’ai fait une belle rencontre. Une trentaine d’adhérentes et de militantes CFDT, auxiliaires de vie dans la région d’Elbeuf, m’attendait autour d’un café pour échanger. Ces femmes sont courageuses, elles m’ont vraiment impressionné.

Le combat qui les occupe est relatif au changement de convention collective, après que leur structure ait décidé, pour des raisons financières, de passer du statut d’association à celui de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (Scic).  La convention des services à la personne qui s’appliquera désormais est bien moins protectrice pour les salariés : indemnité de frais kilométrique divisée par trois, suppression des jours de congés pour enfant malade, baisse brutale de la rémunération des dimanches et jours fériés travaillés. Soit 150 à 200 euros net en moins sur la feuille de paye. Par peur de perdre leur travail, la plupart des 150 salariées, essentiellement des femmes, souvent à la tête de famille monoparentale, ont dû accepter de signer l’avenant à leur contrat de travail.

Mais la section CFDT résiste, elle a attaqué l’accord transitoire et elle tient tête à la direction.

La section a été créée il y a un an seulement « On s’est retrouvées parce qu’on était déjà celles de caractère, celles qui osent dire non », m’expliquent-elles, et je les crois sans peine.

Aujourd’hui elles s’élèvent contre ce qui a motivé le changement de statut et de convention : l’idée qu’elles seraient « un coût » qu’il faudrait « réduire. » Peu de métiers pourtant ont autant d’utilité que le leur. Elles aident des personnes âgées à conserver un peu d’autonomie dans leur vie quotidienne, et contribuent en cela à la dignité des personnes, au maintien du lien social et à la sérénité des familles. Ce sont des professionnelles, qualifiées, qui n’ont pas choisi leur métier par hasard. Mais elles l’exercent dans des conditions difficiles, avec le sentiment de ne plus pouvoir « bien faire leur travail ». En cause, l’organisation du travail, ou plutôt sa totale désorganisation, qui aboutit au triste exploit de nuire simultanément aux salariées, à la qualité du service rendu, et à l’équilibre financier de la structure.

Toutes travaillent à temps partiel. Et alternent, sans visibilité, des semaines de 13h ou de 44h, et subissent des journées de travail « mitées » par de longues périodes d’attentes entre deux visites. Elles opèrent dans un rayon de 44km, certaines ne sont pas véhiculées. Pour trois heures de travail effectif dans la journée, Yamina passe sa vie « à attendre sur les bancs publics ». Sylvie finit par « connaitre sa voiture par cœur ». Cathia multiplie les allers retours entre chez elle et le boulot, jusqu’à cinq fois dans la journée. Sauf les week-ends travaillés où c’est «non-stop », de 7h30 à 20h. Tandis que certaines salariées n’atteignent pas le nombre d’heures prévu par leur contrat, d’autres doivent enchainer les heures supplémentaires, qui font exploser les coûts de la structure. Démissions, épuisements, arrêts maladies se multiplient sans que l’organisation du travail ne soit remise en question. Personne pourtant ne gagne à cette situation, et certainement pas les personnes âgées qui voient défiler chez elles jusqu’à quatre auxiliaires différentes dans une même journée, et subissent des horaires bousculés par la gestion défaillante des plannings, le diner un jour à 16h, le lendemain à 20h, et ainsi de suite. « Ce n’est plus de l’humain, c’est du bouchage de planning ». Nathalie m’explique qu’elle a le sentiment  de devenir « maltraitante » avec les personnes, parce qu’en une demi-heure par visite elle n’a pas le temps de les accompagner convenablement.  

Leur témoignage prouve une fois de plus que l’organisation du travail est une question centrale pour la qualité de vie au travail et tout simplement pour la qualité du travail, une question qui ne peut être abordée sans ceux qui vivent le travail au quotidien. Pourtant la direction reste sourde et fermée au dialogue social, quand elle n’est pas franchement méprisante. « On nous prend pour des moins que rien. Notre professionnalité n’est pas reconnue, nos diplômes ne sont pas pris en compte ». Preuve supplémentaire, la nouvelle grille de classification ne reconnait pas leur qualification.

D’aucuns pourraient se laisser abattre, mais pas les femmes de la section CFDT.  Au quotidien, chacune travaille en solitaire, loin des autres. Mais grâce au syndicalisme, elles ont recréé un collectif qui leur permet de tenir et de regagner le respect de la direction. Les réunions syndicales du mardi soir sont d’abord un moment de convivialité et de soutien moral, « ça nous empêche d’être désolées ».  Elles échangent sur leur travail, sur le « glissement des tâches » qui les éloignent du métier qu’elles ont choisi et pour lequel elles ont été formées. Avec l’aide de Christel et de Didier du syndicat, elles développent des moyens d’agir et de se défendre. « On sait maintenant  lire une convention collective. On est là aussi pour informer les autres salariées, certaines ne savent même pas qu’elles ont des droits. Et on n’a pas peur d’interpeller la direction ». Cela paye. Grace à leur action, les salariées ont désormais une heure de pause pour déjeuner.

Elles me disent qu’elles sont parties de loin, que le chemin a été long, mais qu’aujourd’hui elles relèvent la tête et qu’elles sont pleines d’espoir.

Ces femmes méritent le meilleur du syndicalisme et elles font vivre ce que le syndicalisme a de meilleur. J’étais très heureux de les rencontrer.

https://laurentberger.cfdt.fr/portail/blog/laurentberger-recette2_188538

 

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